Le langage est plus que les paroles que nous prononçons. On dit que le 80% de la communication est non-verbale. Nous communiquons par qui nous sommes et par nos regards, nos gestes, nos absences de parole, nos silences, nos mains, la manière dont le corps est posé. Les spécialistes parlent même de communication à hauteur de 7% de verbal, 38% de vocal (intonation de la voix) et de 55% visuelle (ce que nous montrons de nous). Autant dire que nous avons toutes et tous observé avec plus ou moins d’acuité ce phénomène.
Dans ce récit de rencontre de Paul, et Barnabas son acolyte, avec une population étrangère, la communication prend une drôle d’allure. Cet incident fera sans doute comprendre à ces missionnaires de la Bonne nouvelle qu’il leur faudra trouver de nouveaux chemins de communication pour partager avec des autres populations leur foi. Voyons cet épisode d’un peu plus près.
Lystre était une ville de Lycaonie en Asie mineure (Turquie). Les habitants devaient parler un dialecte local que ne comprenaient sans doute pas Paul et Barnabas, d’où le gros malentendu qui les attend.
Paul est un orateur plus ou moins doué. On lui reproche d’être plus fort avec sa plume que par sa bouche. Ici, il raconte ce qui le fait venir chez eux mais ne peut pas se référer à la foi juive car ce sont des païens, des croyant.es en d’autres divinités. Et ça Paul le comprendra en cours de route.
Ce qui est intéressant dans la communication, c’est ce que Luc dit de Paul. Tout en parlant, la communication s’établit, pas seulement par ce qui est dit, mais ce qui est perçu. Paul discerne chez cet infirme la foi. Cet homme devait boire ses paroles et cela se perçoit. Paul, désireux de communiquer le plein évangile, anticipe la demande de cet homme invalide et l’appelle à un acte de foi. Il parle à voix élevée… pour bien attirer l’attention de son auditoire (aspect vocal de la communication) et invite l’homme à prendre une position qui lui est impossible depuis sa naissance. Ce dernier se lève d’un bond, littéralement il saute. La vie s’éveille dans son corps et lui restitue d’un coup cette vitalité dont il ignorait la possibilité.
Mais le récit, étrangement, ne s’intéresse pas à l’homme guéri. Il passe immédiatement à la réaction de la population exaltée. Une confusion va naître de ce geste car il est interprété différemment de ce que Paul souhaitait. Paul raconte l’évangile et joint le geste libérateur à la parole annoncée, et c’est l’extraordinaire résultat qui trouble le message. Etonnant, non ?
La confusion est totale. Dans le peuple, on s’agite pour préparer un sacrifice pour ces divinités débarquant sur terre et les apôtres se débattent de leur côté pour rétablir une vraie communication sur leurs véritables intentions. Pour cela, ils font un geste visible (communication visuelle) en déchirant leurs vêtements. Ce geste est lié à leur foi juive, donc à leur culture : geste que faisaient les prophètes pour manifester leur désaccord de la part de Dieu.
Ils auront du mal à calmer la foule en plein délire mystique, mais ils y arriveront. C’est sans doute là le cœur du message de ce passage du Livre des Actes des apôtres : Nous aussi nous sommes des hommes, au même titre que vous ! La bonne nouvelle que nous vous annonçons, c’est d’abandonner ces sottises… ils remettent l’église au milieu du village, si je puis m’exprimer anachroniquement ainsi. Les apôtres sont des humains comme les autres. La puissance de l’évangile est de libérer les personnes enfermées dans leur histoire et ne pas être considérés plus que les gens du peuple. Il n’y a pas de castes mettant ces apôtres au-dessus du peuple. Ils sont des serviteurs qui exercent leur autorité spirituelle pour la libération de l’humain.
Arrivé au terme de cette méditation, je me dis que les apôtres ont échappé de justesse à la pire confusion qui aurait tué leur mission qui est avant tout libération et non asservissement de l’autre.
Et pour nous, je me demande si cela ne nous oblige pas à penser aux limites mais également à la richesse de la communication que nous ne pouvons pas réduire à la seule parole… surtout comme protestant.es attachés à la proclamation de la Parole de Dieu. Dans le fond, nous ne cessons malgré nous de communiquer dans nos relations. La question est de savoir si nous en avons conscience et si nous la laissons fleurir librement, en tant qu’enfant de Dieu, pour témoigner de cette humanité qu’il restitue en nous par le Christ… en nous mettant debout et vivant, retrouvant un équilibre de vie et une espérance.
Jean Biondina, pasteur